Entretien avec Bernard Ancillon, ancien directeur de Matra

Pouvez-vous brièvement nous retracer cette histoire ?

A son ouverture, en 1955, le site Matra est implanté sur une emprise restreinte afin d’ y accueillir une activité de production d’armements dits conventionnels pour satisfaire aux besoins de l’armée française. C’est à partir du début des années 70 que le site, rattaché à l’activité défense du groupe Lagardére, va beaucoup se développer autour de l’activité missilière et de l’activité dite mécanique fine qui l’accompagne. De nombreux bâtiments seront construits pour faire face à l’arrivée de nouvelles technologies et à la forte croissance de son activité. Pendant de nombreuses années, Salbris sera le seul site de production industriel de Matra Défense, dont le siège et les bureaux d’études étaient en région parisienne.

A partir du milieu des années 70, les capacités à terme de Salbris ne permettant plus de faire face à la croissance de la production, trois autres sites de production seront ouverts, dont le site de Selles-Saint-Denis pour l’intégration électronique et pyrotechnique des missiles. Les effectifs vont croître de façon continue durant 25 ans, de 30 personnes à l’ouverture, jusqu’à 700 personnes début des années 80, et décroître ensuite pour se stabiliser autour de 400 à 500 personnes. Au moment de sa fermeture, le site, dit de Salbris 1, objet des diverses opérations de cession en cours, comprend une vingtaine de bâtiments principaux d’une surface de 25 000 m² dont 9 000 m² climatisés, déployés sur 12 hectares.

Un événement majeur survenu en 1972, la destruction accidentelle par le feu d’un bâtiment de 5 000 m², va conduire à privilégier la construction de bâtiment spécialisés plus petits, dédiés à un type d’activité, et séparés les uns des autres. Ces bâtiments étaient reliés par d’importants réseaux, à des unités centralisées de fourniture des énergies, avec de puissants groupes électrogènes, eau chaude et froide pour le chauffage et la climatisation.

L’ensemble des bâtiments était protégé des risques d’incendie par un important réseau de sprinklers. Je me permets d’insister sur ces points un peu techniques, mais ils permettent de mieux comprendre les difficultés que va rencontrer la Ville de Salbris à gérer à la fois techniquement et économiquement ce qui est devenu le Technoparc.

Lors de votre départ, un projet de reprise était-il prévu ?

Je savais qu’un certain nombre de projets étaient à l’étude mais je ne peux dire si un projet particulier était prévu. EADS, propriétaire du site, avait travaillé sur différents scénarios à travers son réseau pour tenter de trouver un repreneur. Mais le maire de l’époque a voulu reprendre le site pour un euro symbolique, car il n’avait pas confiance en EADS pour assurer une réindustrialisation, dont il souhaitait conserver la maîtrise. J’estimais pour ma part, compte tenu des coûts d’entretien et de maintenance élevés, que je lui avais communiqués au cours d’un entretien, que cette vente présentait un risque économique sérieux pour la ville, qui perdait ainsi également, un moyen de pression sur EADS.

En tant que locataires du site nous assurions la maintenance et l’entretien de l’ensemble des locaux, voiries, réseaux… Fin 2002, nous avons rendus les clés au propriétaire EADS, après avoir remis les bâtiments en état d’accueillir de nouvelles activités, pour que justement, un avenir puisse être proposé à ce site.

Nous gardions l’espoir d’une seconde vie à ce lieu, qui, grâce à l’engagement de plusieurs générations de matraciens durant 50 ans, avait su évoluer et s’adapter pour atteindre un niveau de performance reconnu dans le milieu aéronautique de la Défense.

Êtes-vous retourné récemment sur les lieux ?

Pendant 18 ans je n’ai jamais, à part deux invitations par des d’entreprises du Technoparc, eu l’occasion d’y retourner. D’une part j’étais trop pris, les premières années par la tâche qui m’avait été confiée de regrouper les activités mécaniques de MBDA et Aérospatiale sur Bourges, et d’autre part je n’ai jamais été contacté par les municipalités, jusqu’à récemment avec l’arrivée d’Alexandre Avril. Depuis deux ans, j’ai l’occasion de m’y rendre régulièrement pour ma nouvelle activité de sculpture avec Philippe Beaupère, ferronnier d’art installé au bât 9. J’ai pris le temps de faire le tour des bâtiments pour mieux visualiser l’évolution et c’est là que j’ai eu un pincement au coeur et vraiment pris conscience de la situation des extérieurs, de la voirie, des espaces verts, des façades et de leur état général d’abandon.

Il m’est plus difficile de porter un jugement sur l’intérieur des bâtiments mais je n’ai aucun doute que les entreprises qui occupent certains d’entre eux, ont fait et font le nécessaire pour assurer dans d’excellentes conditions leur activité.

Je porte par contre un regard beaucoup plus critique sur le bât 9, qui est au coeur de l’opération de cession en cours, et plus particulièrement sur la zone où je me rends régulièrement. J’ai pu constater d’importantes fuites de toitures, problème que nous connaissions sur un certain nombre de bâtiments et qui nécessitaient périodiquement des opérations préventives coûteuses de réfection. J’ai vu de l’eau couler sur les machines, les faux plafonds s’écrouler rendant quasi impossible toute activité industrielle à certains moments.

Cela vous a-t-il affecté de voir les lieux se dégrader ?

Bien sûr, et cet avis est partagé par quelques-uns des anciens matraciens que je rencontre et qui ont eu l’occasion de s’y rendre. J’y ai passé personnellement plus de trente ans de ma vie professionnelle et c’est dur de voir ce site dans cet état. Toute solution permettant de lui redonner une dynamique positive me semble bonne à prendre.

Un mot sur le rachat ?

J’ai apprécié qu’Alexandre Avril, maire de Salbris, ait pris le temps de me contacter à ce sujet pour recueillir mon sentiment sur cette opération. Dès lors que, dès 2003, la recherche d’un opérateur unique étant abandonnée, le choix de découper le site par morceau et de casser ainsi la logique des réseaux centralisés était pris, le principe de vente par appartements s’imposait. Je pense sans état d’âme, encore plus aujourd’hui qu’hier, que la vente des bâtiments est une bonne solution. Il faut faire confiance aux industriels dont c’est le métier d’assurer le bon entretien de leurs installations.

Il me semble qu’une mairie a déjà bien à faire avec l’entretien des bâtiments publics. Je ne connais pas le montant des dépenses engagées par la ville depuis 20 ans, mais je les imagine. La remise en état du bâtiment 9 coûterait une fortune à la ville sans garantie de pouvoir y implanter une nouvelle activité. Cette vente à un industriel reconnu, qui s’engage à assurer la remise en état du bâtiment, à construire sur les parties non bâties, me semble inespérée. Si cet industriel investit de telles sommes c’est à l’évidence pour y créer de l’activité, des richesses et donc de l’emploi.

Une page semble se tourner pour le site ?

Une nouvelle page se tourne pour Salbris. La dynamique engagée me semble la bonne. Je souhaite beaucoup de réussite à son jeune maire dynamique, Alexandre Avril, ainsi qu’à l’ équipe municipale pour redonner vie à ce site. Plus globalement, je souhaite que Salbris, ville à laquelle je suis particulièrement attaché depuis plus de 50 ans, retrouve une activité